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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

Décision de la commission administrative

Société Le Monde interactif c/ Monsieur Elphège Frémy

Case No. D2000-0647

 

1. Les Origines de la Contestation

1.1. Les parties. Le requérant est la société Le Monde interactif, société anonyme de droit français ("le requérant"), filiale de la société Le Monde SA. Le défendeur est M. Elphège Frémy, personne physique, résident français ("le défendeur").

1.2. Le nom de domaine et l’unité d’enregistrement. Le nom de domaine contesté est "le-monde.com", qui a été enregistré auprès de l’organisme Network Solutions, Inc.

1.3. Historique de la procédure et présentation des faits. M. Frémy a déposé le nom de domaine "le- monde.com" auprès de Network Solutions, Inc. le 28 novembre 1999.

De son côté, la société Le Monde interactif est la branche multimédia du célèbre journal du soir français "Le Monde", également constitué sous forme de société anonyme.

Le Monde interactif, société créée en juin 1998, a pour objet l’édition électronique et le développement des informations politiques, culturelles, économiques et pratiques interactives, dans le prolongement de la société mère.

Celle-ci est propriétaire de plusieurs marques françaises et internationales comportant le nom "Le Monde", ainsi que des mentions figuratives relatives à sa typographie. Les dépôts ont été effectués ou renouvelés pour la plupart en 1995 et 1997 dans les classes 9, 16, 35, 41 et 42, c’est-à-dire essentiellement les domaines de l’édition, la presse, les services de communication et d’information.

La société mère a consenti en décembre 1998 à sa filiale un apport partiel d’actif pour les activités relatives au multimédia et aux services en ligne. Elle lui a donné, à la même date, licence sur ses marques, pour le domaine d’exploitation susvisé.

La société Le Monde interactif a déposé pour son compte en janvier 2000 en France et en Europe des marques nominales et semi-figuratives dans les mêmes classes, comportant notamment le signe "Le monde interactif.com".

Elle a également procédé en 1999 à l’enregistrement de plusieurs noms de domaine, dont "le monde-interactif.com" et "le monde.fr". Mais pas "le- monde.com".

1.4. Par plainte en date du 21 juin 2000, dont réception a été accusée par le secrétariat du centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI le 26 juin 2000, la société Le monde interactif a requis le transfert à son bénéfice du nom de domaine "le-monde.com".

Le 23 juin, la demande de vérification a été formulée auprès de l’unité d’enregistrement, qui a répondu le 3 juillet suivant.

Après l’examen formel de la plainte par le Centre et un échange avec le requérant, la procédure a été ouverte et les notifications effectuées le 19 juillet 2000.

1.5. La plainte est assise sur les motifs qui peuvent ainsi être résumées : le signe distinctif "Le monde", déposé comme marque de plusieurs façons, jouit d’une grande notoriété en France, en Europe et dans le monde. Il correspond à une réputation éditoriale d’information de qualité, dans les différents secteurs culturels et économiques intéressant le public; dans le sillage du développement du multimédia, spécialement sur l’Internet, la société qui édite le journal a créé une filiale dédiée à cette technique, chargée, outre de constituer l’écho en ligne de l’organe de presse (convention sur les contenus rédactionnels de mars 1999), de proposer aux Internautes une gamme de services, notamment culturels et économiques étendus; avec l’ambition de constituer un site international d’envergure, consulté à partir de nombreux pays. Des investissements financiers substantiels ont été consentis à cet effet. D’ores et déjà, le site actuel, en ".fr", fonctionne avec succès.

Cependant, le développement de ces activités en ligne suppose d’une part que le signe distinctif "le monde" ne soit pas parasité par des tiers, d’autre part qu’en vue de l’attraction de nouveaux publics, spécialement anglo-saxons, le nom de domaine "le monde.com" puisse revenir au requérant.

Le dépôt auprès de Network Solutions, Inc. fait par le défendeur l’en empêche.

Les conditions mises par les principes directeurs à la radiation ou au transfert, seraient remplies : le défendeur a déposé un nom de domaine qu’il a laissé inexploité depuis (constat d’huissier d’avril 2000), il provoque des risques de confusion avec la personne et les activités du requérant et s’inscrit dans une perspective spéculative, comme le démontre l’échange de correspondances entre les parties; en effet, lors de pourparlers en vue du rachat, initiés à la demande du requérant (qui proposait l’équivalent de 25.000 F en publicité), le défendeur a exigé un prix avoisinant le million de Francs français, alors que le dépôt lui a coûté mille Francs. La condition essentielle de mauvaise foi serait au total ici remplie.

1.6. Le 3 août 2000, le défendeur a répondu, en sollicitant le débouté du requérant, pour les raisons qui peuvent ainsi être résumées : tout d’abord, du point de vue du signe lui-même, "le monde", son caractère générique interdirait toute appropriation exclusive; pour qu’il en soit autrement, il faut, ainsi que l’a fait le requérant pour ses marques, le combiner avec des signes figuratifs.

Ensuite, les conditions cumulatives posées par les principes directeurs, qu’il incombe au demandeur de prouver, ne seraient pas remplies en l’espèce : ainsi qu’il l’a fait constater par exploit d’huissier en juillet 2000, le défendeur a déposé de bonne foi le nom de domaine querellé, qu’il comptait exploiter pour ouvrir un portail basé sur les images et fournissant à l’Internaute des informations immédiatement accessibles, notamment dans le domaine de l’éducation, des divertissements, des sports et des voyages (il a aussi déposé notamment "la terre.com" et "la lune.com"); ce n’est que parce qu’il n’a pu trouver de financement, qu’il n’a pas à ce jour exploité son site et a fini par le pointer sur le site éditorial "Quid", correspondant aux activités d’édition de ses parents, fondateurs de l’ouvrage papier du même nom. Le risque de confusion avec les activités et la personne du requérant n’existerait pas, si l’on en croit les informations que fournissent les principaux moteurs de recherche. Le défendeur n’a pas non plus pris l’initiative de proposer au requérant de lui vendre le nom de domaine, ce qui ne l’empêchait pas, les pourparlers entamés, de lui en réclamer un prix qui ne soit pas dérisoire.

Enfin, le requérant, qui s’est montré négligeant en ne déposant pas en temps utile le nom de domaine "le monde.com", ne peut s’en prendre qu’à lui-même, alors en outre qu’une recherche en ligne permet de découvrir de nombreux dépôts comportant le signe "le monde".

Dans ces conditions, le requérant n’a pas d’intérêt légitime à agir, autre que de se livrer à une tentative de recapture illicite du nom de domaine, par la voie de cette action de harcèlement.

1.7. Le 10 août 2000, le requérant a répondu au défendeur, en complément à sa requête.

Il a également fait valoir un grief relatif à l’adresse exacte à laquelle le défendeur peut être joint (quid.fr) et à la connaissance qu’il pouvait en avoir au moment de l’introduction de l’instance, ce qu’il a contesté.

1.8. Le 14 août, le défendeur a répliqué sur les points de procédure, la chronologie de l’affaire et résumé sa position.

Le 18 août, le requérant lui a encore répondu, soulignant notamment que son adversaire aurait transféré en fait la jouissance du nom de domaine à un tiers et invitant la Commission à en tirer les conséquences.

1.9. Le 11 août 2000, la commission, en sa formation d’expert unique, a été nommée par le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI; l’expert a accepté sa mission et formulé sa déclaration d’indépendance. La décision devant normalement être rendue le 25 août.

Le 23 août 2000, la Commission, utilisant les pouvoirs qui lui sont accordés par les art. 10 et 12 des règles d’application, a invité la société requérante à "produire le pouvoir écrit en vertu duquel la société Le Monde SA. lui confère la qualité pour agir au titre des marques dont elle est propriétaire", ainsi qu’à "établir dans les mêmes formes l’accord en vertu duquel la société Le Monde SA accepterait que le nom de domaine litigieux soit transféré à la société requérante en cas de succès éventuel de son action devant la Commission". Le délai pour cette communication a été fixé au 25 août suivant et la décision a de ce fait été reportée au 31 août 2000, afin que les parties s’expliquent le cas échéant sur ce point.

1.10. Le 24 août, la requérante a fourni les pouvoirs et attestations requis (courrier du directeur juridique du "Monde", visant rétroactivement les stipulations du contrat de licence).

Par communication du 26 août, le défendeur est revenu sur le caractère générique du signe et a remarqué qu’il a pour sa part fait usage d’un trait d’union entre "le" et "monde". Il a souligné son absence de mauvaise foi au titre de l’utilisation du nom de domaine.

En réponse, le 26 août, le requérant a protesté contre la précédente communication, hors délai.

 

2. Recevabilité de la Requête

2.1. La Commission a été contrainte d’exiger des éclaircissements, à partir du moment où la requérante faisait valoir des droits de marques, antérieurs au dépôt du nom de domaine par le défendeur, qui n’appartiennent qu’à la société Le Monde SA. Ses propres dépôts de marques sont en effet postérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

La requérante n’est que licenciée des marques, propriété du Monde SA et son contrat de licence spécifie bien (art. 10), en application d’une règle traditionnelle, qu’elle ne peut défendre seule les marques concédées contre une atteinte qui leur serait portée et qu’elle doit préalablement solliciter le concours du propriétaire, avant de pouvoir le cas échéant et après mise en demeure, intenter seule l’action, munie de l’accord écrit de celui-ci.

Dans ces conditions, si elle agissait seule, il lui fallait un pouvoir pour agir devant l’OMPI, qu’elle n’a pas produit au début de l’instance, ou la preuve qu’elle satisfaisait aux exigences de l’art. 10 de son contrat de licence.

Dans un souci de bonne administration des procédures de l’ICANN, la Commission a estimé pertinent et loyal de lui permettre, si les conditions en étaient remplies, de régulariser l’instance en produisant ce pouvoir, fût-ce tardivement.

Pour les mêmes raisons, la requérante ne pouvait sérieusement demander le transfert du nom de domaine à son bénéfice, alors que ce ne sont pas ses droits de propriété intellectuelle qui seraient méconnus, mais ceux de sa parente, non partie à l’instance. De sorte que là encore, la Commission a estimé raisonnable et juste de lui permettre de régulariser, si elle était en mesure de le faire, pour ne pas entraîner de nouvelles procédures et d’inutiles gaspillages de temps, d’énergie et d’argent.

 

3. Le Fond de la Contestation

3.1. Cette affaire sera tranchée en application des principes directeurs sur le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine, adoptés par l’ICANN le 26 août 1999, ainsi que par les règles d’application du 24 octobre 1999 et les règles supplémentaires de l’OMPI, en vigueur au 1er décembre 1999.

Du point de vue du droit applicable, les règles matérielles susvisées, acceptées par les deux parties, suffisent à résoudre le litige. Cependant, conformément à l’art. 15-a des Règles d’application, le droit français est également déclaré compétent, en tant que de besoin, les parties étant toutes deux de nationalité française et la contestation se rattachant étroitement à la France.

Seront également utilisés les principes généraux du droit.

La commission a pu consulter les pièces produites par chacune des parties, énumérées dans leurs bordereaux et préalablement échangées entre elles, par l’intermédiaire du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI.

Les arguments de droit et de fait ayant été contradictoirement échangés entre le requérant et le défendeur, la commission est en mesure de rendre sa décision.

Il convient tout d’abord d’examiner le signe distinctif querellé (A), avant de s’attacher au comportement du défendeur (B).

A. Validité du signe distinctif

3.2. Dans la matière des noms de domaine comme dans celle des marques, il est clair qu’un signe qui serait purement générique, utilisable par tous, sans la moindre attractivité, ne saurait être approprié par quiconque. En déposant notamment, en même temps que le signe litigieux, les noms de domaine "la terre.com", "la lune.com", le défendeur en a lui-même donné l’illustration.

Telle est effectivement en soi la formule nominale "le-monde.com".

Cependant, ce ne sera pas le cas dans deux hypothèses, alternatives : tout d’abord, celle où le terme générique est utilisé pour désigner une activité ou un produit pour lequel il n’est pas usuel de l’employer; ensuite, lorsque le signe a acquis une renommée suffisante auprès du public, pour que celui-ci identifie nettement la chose ou le service spécifique proposé, par sa simple évocation.

Dans le cas du signe distinctif "le monde", il apparaît que ces deux conditions sont réunies : la société mère a développé une exploitation relative à l’information, la presse, la politique, la culture et l’édition, qui confère à cette expression une distinctivité sans rapport avec la simple évocation matérielle de la planète sur laquelle nous vivons.

A cet égard, la commission ne suivra pas le défendeur sur le point de la nécessité d’introduire une dimension figurative (typographie) au signe, pour lui conférer une distinctivité suffisante.

Ensuite, il n’est guère contestable que le signe "Le monde" jouit depuis de longues années, dans le secteur de l’édition et de la presse, d’une grande notoriété, non seulement en France, mais encore en Europe et sur les autres continents.

3.3. Le défendeur a effectué une recherche concernant les antériorités, c’est-à-dire les noms de domaine déjà déposés par des tiers, comprenant l’expression "le monde", ce qui tendrait, toujours de la même façon, à établir l’absence de caractère distinctif. Il a également fait la liste des nombreuses déclinaisons déposées par le requérant lui-même.

La commission notera tout d’abord que la comparaison est plutôt avantageuse pour le requérant, qui s’est efforcé de déposer des noms en rapport avec ses activités éditoriales.

Elle remarquera ensuite que les véritables antériorités ne sont pas tellement nombreuses; qu’elles émanent le plus souvent de déposants étrangers; et qu’il est impossible, au vu des pièces communiquées, de savoir si les activités que ceux-ci ont eues en vue, recoupent celles du requérant, ou si elles lui sont totalement étrangères. N’est pas plus établi le fait de savoir si ces déposants ont eu sincèrement en vue une exploitation réelle, ou s’ils étaient au contraire animés d’une volonté spéculative.

Enfin, il n’est pas démontré qu’à les supposer exerçant dans le même domaine de spécialité, le requérant ait connu et toléré durablement ces dépôts, au point de créer à leur bénéfice un véritable droit acquis; en toute occurrence, ces déposants seuls auraient qualité pour s’en prévaloir, à l’exclusion du défendeur.

3.4. La commission retiendra donc le caractère distinctif de l’expression "le monde".

Elle considère également que le trait d’union entre l’article "le" et le nom "monde" est non significatif. Pas plus que ne le serait la question (non soulevée par le défendeur) des majuscules ou des minuscules, caractérisant les lettres (totalité ou premières lettres de chacun des deux mots composant ce signe nominal).

L’élément caractéristique essentiel des marques est en effet l’expression "le monde", appliquée aux domaines de la presse et de l’information sur tous supports.

B. Comportement du défendeur

3.5. L’art. 4-a des Principes directeurs énonce trois conditions pour mettre en œuvre une procédure à l’encontre d’une personne ayant déposé un nom de domaine, dans des conditions qui seraient illicites : qu’il soit "identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits"; que le défendeur n’ait "aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache"; que ce nom ait été "enregistré et (soit) utilisé de mauvaise foi".

Ces trois conditions préalables à une éventuelle radiation ou à un transfert sont cumulatives et il appartient au demandeur d’administrer la preuve qu’elles sont réunies. On peut noter qu’elles se recoupent (surtout les deux dernières) et que la troisième est déterminante.

La commission examinera d’abord le risque de confusion (1), puis la question de la mauvaise foi (2), les deux conditions de l’absence d’intérêt légitime et de la mauvaise foi pouvant être abordées de front.

1. Risque de confusion

3.6. La marque "Le monde" jouit, ainsi qu’il a déjà été relevé, d’une grande notoriété. C’est un fait incontestable en France et à l’étranger.

Comme les principaux journaux des pays industrialisés, "Le monde" a basculé ses activités d’édition dans le domaine du multimédia et de l’information "en ligne".

C’est avec cette notoriété dans le domaine de l’édition papier et désormais électronique, que le défendeur risque d’entretenir une confusion avec son appropriation du nom de domaine "le-monde.com".

Cela vaut certainement pour la France et probablement même au-delà de ce pays. A cet égard, les principaux moteurs de recherche, américains en tête (Yahoo, Alta Vista, Lycos), renvoient, lorsqu’on tape "le monde", au site du journal, en premier de la liste. Ce qui constitue une preuve de son implantation internationale, y compris dans l’espace dématérialisé de l’Internet.

Que le site du défendeur ne soit pas premier (ou pas du tout) dans la liste des moteurs de recherche, alors qu’il n’a aucune activité de services en ligne, n’est pas de nature à lever le risque de confusion. Car il suffirait que demain, il procède à une exploitation véritable et se fasse référencer, pour que la confusion s’installe, dans le cadre des moteurs de recherche, ou à l’occasion de la visite du site, par le public.

A cet égard, la commission remarque qu’il s’agit d’apprécier une "probabilité de confusion", pas de vérifier une confusion avérée. Et que le dommage subi par le requérant, à supposer qu’il soit requis, ne doit pas non plus être nécessairement actuel, mais probable.

2. Mauvaise foi

3.7. Le point essentiel est de déterminer si le dépôt a été effectué de mauvaise foi.

Celle-ci peut se définir comme la conscience, chez un sujet de droit, qu’il se place par son action dans une situation illicite, de nature à porter atteinte à une valeur sociale ou à causer un dommage à autrui.

C’est une notion psychologique, qui repose dans le for intérieur de la personne à laquelle on l’impute, de sorte que pour en administrer la preuve, s’agissant d’un fait juridique, le demandeur est en droit d’utiliser tous les éléments probatoires pertinents, au premier rang desquels les indices et présomptions.

L’art. 4-b des Principes directeurs livre des indications sur les principaux cas de mauvaise foi : c’est lorsque le défendeur aura enregistré le nom de domaine dans le but de le revendre au requérant, ou de l’empêcher de transposer sa marque dans les noms de domaine (ce qui revient pratiquement au même), ou encore, pour désorganiser son entreprise et susciter une confusion dans l’esprit du public.

Cette mauvaise foi s’apprécie normalement au moment du dépôt. Les Principes directeurs prévoient qu’il doit y avoir également une "utilisation" de mauvaise foi, de sorte qu’il existe une continuité dans l’élément psychologique du manquement et que c’est à nouveau une exigence cumulative qui est opérée.

L’utilisation du nom de domaine ne sera pas nécessairement l’ouverture et l’exploitation d’un site comportant ce signe. On peut la définir comme tout comportement par lequel le déposant use du nom de domaine, notamment par la présence active de son site sur le Web, celui-ci fût-il en construction, ou encore, pointe ou renvoie à un autre site. Cet usage pourra aussi être constaté par le biais de l’e-mail, s’il intègre le nom de domaine contesté. Et surtout, en dehors de l’Internet, par les rapports du déposant avec les tiers, notamment le titulaire des droits qu’il a méconnus en procédant au dépôt litigieux. Attitude qui ne se limite pas au seul cas du dépôt aussitôt après suivi d’une démarche auprès de celui-ci à fin de revente à prix fort, mais consiste dans la défense ou la conservation du signe par tous moyens et selon tous modes d’expression, sachant qu’il a été indûment approprié.

Cette fois, les conditions sont pleinement alternatives, un seul de ces comportements suffisant à établir la mauvaise foi, du moins s’il est caractéristique.

Toute autre interprétation, notamment celle tendant à rechercher si le déposant a effectivement exploité le nom, serait une incroyable récompense faite à la mauvaise foi et à l’inaction, en même temps qu’une preuve "diabolique" à la charge de la victime, mise de ce fait dans l’impossibilité de faire radier ou transférer le "nom de domaine fantôme".

Enfin, il ne serait ni juste ni logique de commencer par constater qu’un dépôt a été fait de mauvaise foi, pour n’en tirer aussitôt après aucune conséquence : l’adage "malitiis non est indulgendum", pas d’indulgence pour la mauvaise foi, doit l’emporter pour des raisons d’éthique juridique sur la maxime "quieta non movere", il ne faut pas troubler ce qui est paisible.

Il reste à vérifier si une telle mauvaise foi existe en l’espèce.

3.8. Si l’on s’en tenait à l’une des manifestations les plus claires du "cyber-squattage", consistant pour le déposant à prendre contact avec le propriétaire de la marque, aussitôt après l’enregistrement, en vue de monnayer la rétrocession du nom de domaine, la réponse ne pourrait être que négative. En effet, il ressort des pièces que c’est le requérant et non pas le défendeur qui, peu après le dépôt du nom de domaine auprès de Network Solutions, Inc. a pris l’initiative de lui proposer le rachat du signe.

Certes, la commission peut remarquer le caractère exagéré de la contre-proposition de prix formulée par le défendeur, près d’un million de Francs français, par rapport à l’investissement limité qu’il a effectué en procédant au dépôt. Mais ceci n’est pas l’indice d’une mauvaise foi avérée.

3.9. Toutefois, il y a un point fondamental, déjà évoqué à propos du risque de confusion (supra, n° 3.6), qui ne peut que faire pencher dans le sens de la mauvaise foi du défendeur : c’est la notoriété du signe "Le Monde" en France et au-delà des frontières (rev. la vérification éloquente des principaux moteurs de recherche anglo-saxons), qui atteste que la simple évocation de ces deux mots désigne au premier chef, dans l’esprit du public, l’organe de presse français.

Cette notoriété pouvait d’autant moins échapper au défendeur qu’il ne s’agit pas ici d’un Internaute moyen, mais de son aveu même, du membre d’une famille provenant des milieux français professionnels de l’édition et de l’information.

3.10. Enfin, le défendeur n’établit pas, pour détruire ces indices de mauvaise foi, qu’il a eu la volonté réelle et sérieuse de créer et d’exploiter un site dans des conditions insusceptibles de provoquer un risque de confusion avec le signe appartenant au "Monde". Preuve qu’il est le seul à pouvoir administrer et qui peut reposer notamment dans toutes correspondances, dossiers établis en vue d’un financement, etc.

Le seul document de deux pages, en anglais, qu’il verse aux débats (annexe au procès-verbal de l’huissier), a trait à un futur site intitulé "Viewseek.com" et non "le-monde.com"; au surplus, cette note comporte des développements d’une grande généralité.

Le site est resté plusieurs mois en construction et aujourd’hui, hormis un jeu de mots sur "la création du monde" et un renvoi à la Bible, le nom de domaine pointe sur le site éditorial et à l’adresse du "Quid".

Enfin, s’agissant du constat d’huissier produit par le défendeur, qui relate sur ce point ce que ce dernier lui a confié, il sera rappelé la règle de droit civil français en vertu de laquelle "nul ne peut se constituer une preuve à lui-même". Outre que ce constat, dressé au moment où la procédure ICANN/OMPI était déjà entamée, n’apporte rien de déterminant dans le sens de la preuve d’une tentative d’exploitation réelle et sérieuse, suivant le dépôt.

3.11. En conséquence, la Commission retiendra la mauvaise foi. Celle-ci étant réalisée tant au moment du dépôt que lors de l’utilisation du signe par le défendeur, qui continue à avoir un nom de domaine actif, même s’il pointe sur le site d’un tiers et qui s’est montré peu loyal à l’égard de professionnels d’un milieu qu’il connaît bien.

Même si la Commission ne peut se fonder que sur des présomptions, il n’existe pas de suffisante incertitude sur ce point, pour qu’on le fasse bénéficier d’un doute.

Le défendeur n’établit pas non plus remplir les autres motifs d’intérêt légitime énoncés par l’art. 4-c des Principes directeurs, parmi lesquels le fait d’être déjà connu pour ses activités sous le nom de domaine litigieux, ou d’en avoir déjà fait un usage non commercial légitime.

Le monde interactif ne peut plus par le fait du défendeur se faire attribuer le nom de domaine en ".com" ce qui, même s’il aurait pu se soucier plus tôt de sa réservation, est de nature à lui causer un dommage pour son expansion, notamment aux Etats-Unis, où cette identification est très répandue.

La mesure de transfert forcé du nom de domaine litigieux sera, dans ces conditions, ordonnée. Etant précisé que le requérant ne prouvant pas que son adversaire aurait transféré la propriété de son nom de domaine à un tiers, c’est à l’encontre du défendeur personnellement que la mesure a lieu d’être prise. Mais que la présente décision, qui sera notifiée à l’unité d’enregistrement, s’imposera par définition à toute personne qui se présenterait comme l’ayant cause du défendeur, tenant ses droits de celui-ci et ne pouvant en avoir plus que lui-même.

 

4. Décision de la Commission Administrative

La commission administrative décide, pour les raisons énoncées dans les motifs, qui font corps avec le dispositif, que le nom de domaine "le-monde.com" doit être transféré à la société requérante, selon les modalités et la procédure prévues par les Principes directeurs de l’ICANN.

 


 

Professeur Pierre-Yves Gautier
Expert unique de la commission

Datée : 31 août 2000

 

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