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Centre de Médiation et d'Arbitrage
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Société Endemol Développement contre Nicolas
Litige n° D2002-0267
1. Les parties
Requérant : Société Endemol Développement, Société par Actions Simplifiée, 10, rue de Torricelli, 75017 Paris, France (ci-après dénommée Endemol).
Défendeur : " Nicolas ", répertorié comme domicilié à " 2367, Heildelberg, France ".
2. Le nom de domaine et l’unité d’enregistrement
Le nom de domaine concerné est <loftstory2.com>.
L’unité d’enregistrement est Gandi, Paris, France
3. Rappel de la procédure
Le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (ci-après dénommé le Centre) a reçu la plainte de la société Endemol le 20 mars 2002.
Le Centre a vérifié que la plainte satisfaisait aux conditions de forme définies dans les principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine, approuvés par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) le 24 octobre 1999 (ci-après denommés les principes directeurs), les règles d’application des principes directeurs (ci-après dénommées les règles) et les règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommés les règles supplémentaires) et que le requérant avait effectué le paiement requis à l’ordre du Centre.
Le 27 mars 2002, la plainte a été notifiée par courrier électronique à Gandi qui a indiqué qu’un nom de domaine <loftstory2.com> avait été effectivement enregistré par un certain Nicolas. La plainte a été notifiée le 5 avril 2002 au défendeur, à l’adresse électronique par lui indiquée.
Conformément au paragraphe 4.c) des règles, la date officielle d’ouverture de la procédure administrative est le 5 avril 2002.
Le défendeur n’ayant pas répondu au 25 avril 2002, le Centre lui notifiait le 26 avril 2002 son défaut, avec indication qu’il allait être procédé à la nomination de la Commission administrative réduite à un membre, suivant le choix fait par le requérant.
Le 1er mai 2002, le Centre saisissait M. Michel Vivant et, celui-ci ayant souscrit le 5 mai 2002 la déclaration d’acceptation et la déclaration d’impartialité et d’indépendance requises, lui adressait le 7 mai 2002 le dossier par voie électronique, avant de l’envoyer par voie postale. La Commission était ainsi installée composée de l’unique membre désigné.
Aucune nouvelle pièce n’a été déposée depuis lors.
La date fixée pour la reddition de la décision est le 21 mai 2002.
La langue de procédure est le français.
4. Les faits
La société Endemol est titulaire de plusieurs marques françaises, et notamment de la marque verbale Loft Story n° 3066692, déposée le 24 novembre 2000, en classes 9, 16, 25, 28, 35, 38, 41 et 42 ainsi que de la marque figurative Loft Story n° 3088513, déposée le 13 mars 2001, en classes 9, 16, 25, 28, 35, 38, 41 et 42.
Elle est également propriétaire d’un enregistrement international figuratif pour Loft Story n° 773.536 en date du 22 août 2001 en classes 9, 16, 25, 28, 35, 38, 41, 42 et couvrant les territoires suivants : Allemagne, Arménie, Autriche, Bénélux, Espagne, Italie, Liechtenstein, Maroc, Monaco, Pologne, Portugal, Suisse, Danemark, Japon, Norvège, Royaume-Uni, Suède et Turquie.
Ces diverses marques sont en particulier utilisées en France pour désigner l’organisation de production d’émissions et divertissements télévisés. C’est ainsi que dans le courant de l’année 2001 une émission du nom de Loft Story était diffusée sur la chaîne française M6, émission ayant un grand écho médiatique.
Le 27 avril 2001, pendant le courant de la diffusion de ladite émission, un nom de domaine <loftstory2.com> était enregistré par l’unité d’enregistrement Gandi.
A l’adresse <loftstory2.com>, apparaissait, sur interrogation faite en janvier 2002, un site portant en gros caractères : " LOFT STORY " (avec reproduction de la marque figurative Loft Story) mais présenté comme " en construction ".
Un courrier papier, envoyé par Endemol le 29 janvier 2002 sous forme de lettre recommandée avec avis de réception à l’adresse indiquée lors de l’enregistrement, allait rester sans réponse, le courrier étant revenu aux motifs d’une adresse insuffisante.
Un courrier électronique, envoyé le 30 janvier 2002 à l’adresse figurant sur le site auquel donnait accès l’adresse <loftstory2.com>, allait recevoir une réponse suggérant la possibilité d’un " arrangement amiable ", ce à quoi la Endemol allait répondre par la négative.
Celle-ci déposait plainte le 20 mars 2002, comme il a été dit plus haut, ouvrant une procédure marquée par le défaut du défendeur.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Endemol fait valoir que <loftstory2.com> est une reproduction à l’identique de loftstory, l’adjonction du chiffre 2 étant inopérante comme n’affectant pas la perception visuelle ou phonétique de la dénomination loftstory. Ou qu’à tout le moins, il constitue l’imitation des marques antérieures du requérant, dès lors que le public est conduit à faire une confusion sur l’origine des produits et services ou des titulaires et à penser légitimement que les titulaires des marques et du nom de domaine sont les mêmes ou sont en étroite dépendance économique, juridique ou financière.
Endemol fait encore valoir que le nom a été enregistré en toute connaissance de cause à une époque où était diffusée l’émission Loft Story, émission au grand retentissement médiatique, et dans l’anticipation d’une nouvelle émission qu’il était " aisé d’imaginer ".
L’enregistrement du nom a été fait, dit-elle, " uniquement pour empêcher sa réservation par une personne morale, propriétaire de la marque, qui avait vocation naturelle et légitime à en être titulaire ".
L’auteur de l’enregistrement a tenté de créer une confusion en attirant " les utilisateurs de l’internet sur un site ou un autre espace en ligne lui appartenant ", étant relevé qu’en sus il n’a pas hésité à reproduire " servilement la marque complexe en couleur, dont est titulaire Endemol, sur la page d’accueil du site auquel renvoie le nom de domaine <loftstory2.com> ", suggérant ainsi plus encore une association ou une affiliation à l’émission Loft Story ou à la chaîne M6 alors même qu’il n’existe aucun lien entre eux.
Parallèlement, le requérant fait valoir que le nom de domaine a été enregistré " essentiellement en vue de le vendre ou de le céder à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que le détenteur du nom de domaine a dû débourser " (12 euros auprès de Gandi contre, par exemple, une offre faite à 2 000 euros). Il fait état de l’offre directe d’achat dont il a été saisi, ainsi que de diverses propositions de vente du nom faites en ligne, notamment vente aux enchères via le site <ebay>.
En conséquence, le requérant demande le transfert du nom de domaine contesté à son profit.
B. Défendeur
Défaillant.
6. Discussion et conclusions
La Commission, en l’état du défaut du défendeur, est appelée à se prononcer sur l’argumentation du requérant, les éléments de preuve apportés par lui et, quant au droit, référence faite aux principes directeurs, aux règles et aux règles supplémentaires.
Il convient ainsi d’examiner la situation tout particulièrement par rapport au paragraphe 4 des principes directeurs, aux termes duquel un transfert (ou une radiation) peuvent être ordonnés quand le nom de domaine est " identique ou semblable au point de prêter à confusion [avec] une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits " ; quand le défendeur n’avait aucun droit sur le nom de domaine " ni aucun intérêt légitime qui s’y attache " ; quand enfin le nom a été enregistré et utilisé de mauvaise foi. Étant rappelé que ces conditions sont cumulatives.
6.1. Sur l’identité ou la similarité du nom de domaine avec la marque du requérant
Le requérant est titulaire de plusieurs marques françaises, et notamment de la marque verbale Loft Story n° 3066692, déposée le 24 novembre 2000, en classes 9, 16, 25, 28, 35, 38, 41 et 42 ainsi que de la marque figurative Loft Story n° 3088513, déposée le 13 mars 2001, en classes 9, 16, 25, 28, 35, 38, 41 et 42 et est également propriétaire d’un enregistrement international figuratif pour Loft Story n° 773.536 en date du 22 août 2001 en classes 9, 16, 25, 28, 35, 38, 41, 42 couvrant différents territoires. Il verse au dossier les pièces l’établissant.
Le nom de domaine enregistré <loftstory2.com> est, à l’évidence, extrêmement proche desdites marques.
Dans un contentieux de marques français, l’identifiant second en date qui ne prétendrait se distinguer d’une première marque que par l’adjonction d’un chiffre qui ne crée pas de réelle différence entre les signes, n’érige aucune " distance " entre eux mais, par là même, établit au contraire une association manifeste entre eux, serait très certainement considéré comme constitutif d’une reproduction au " quasi-identique " traitée comme reproduction à l’identique.
Et l’on peut en toutes hypothèses admettre ici, comme le soutient le requérant, que l’adjonction du chiffre 2 est inopérante comme n’affectant pas la perception de la marque reproduite.
A s’en tenir comme il se doit aux principes directeurs et règles applicables au présent litige, il faut cependant observer qu’il suffit que la marque et le nom de domaine soient semblables au point de prêter à confusion.
L’adjonction du terme, à côté de celui d’identité, démontre bien qu’il n’est pas nécessaire que le nom soit rigoureusement identique à la marque, base de la demande faite. Toute la " jurisprudence " des Commissions administratives de l’OMPI va en ce sens. La présence de fautes d’orthographe (" misspellings ") délibérées (cf., Yahoo! Inc. v. Eitan Zviely, Zvieli Fisher / F.Z./ Oz Domains / E.Z.O.F./ E&O Domains / Fisher Zvieli Décision OMPI No.D2000-0273) le jeu sur des déclinaisons diverses (cf., par exemple, Louis Vuitton Malletier v. Net-Promotion, Inc Décision OMPI No. D2000-0430, confronté à <luisvuitton.com> ; Altavista Company v. Grandtotal Finances Limited, Grandtotal Finances Ltd., S.A. / Grandtotal Finances S.A. / GrandtotalFinances Limited / GrandtotalFinances Ltd., S.A. Décision OMPI D2000-0848, confronté à <actavista.com>, <aliavista.com>, <alkavista.com>, etc.) comme l’adjonction, par exemple, d’un trait d’union (The Channel Tunnel Group Ltd. v. John Powell Décision OMPI No. D2000-0038) ont été jugés dépourvus d’incidence et n’ont pas empêché la condamnation du " cybersquatter ".
En l’espèce, un nom qui est la reprise d’une marque, à la réserve près de l’adjonction d’un chiffre ( 2 ) qui situe ce nom dans le prolongement " naturel " de la marque et, loin de le différencier de celle-ci, crée ainsi une association avec elle, en suggérant qu’il en est une déclinaison, est indiscutablement un nom de nature à créer la confusion dans l’esprit du public. Loft Story 2 fait naturellement suite à Loft Story 1, comme Loft Story 3 a vocation à poursuivre Loft Story 2. (De fait, l’émission Loft Story 2 a bien pris le relais du premier Loft Story.)
La première condition visée aux principes directeurs est ainsi manifestement remplie.
6.2. Sur l’absence de droits ou d’intérêt légitime de l’auteur de l’enregistrement
Le requérant a démontré qu’il était titulaire des droits sur les marques Loft Story. Contre cela, on ne voit pas quel droit l’auteur de l’enregistrement pourrait, de son côté, faire valoir, n’ayant jamais utilisé dans le passé une telle dénomination pour son compte.
La Commission se doit, en outre, de relever que, si les marques Loft Story ne sont pas nécessairement des marques notoires ou renommées au sens de l’article 6 bis de la Convention d’Union de Paris du 20 mars 1883, le succès considérable de l’émission ainsi nommée comme l’étonnant impact sociétal de celle-ci qui a conduit toute la presse française et une bonne part de la presse européenne à s’en faire l’écho, montrent bien que le choix fait par l’auteur de l’enregistrement de ce nom ne pouvait se fonder sur un intérêt légitime propre qui aurait été le sien.
Vient en renfort de l’observation le fait que le nom de domaine n’a fait l’objet d’aucune exploitation puisque, neuf mois après l’enregistrement, n’existait qu’un site " en construction ", reproduisant qui plus est sans autorisation la marque figurative du requérant.
Sauf construction ultérieure d’un site plus ludique que parodique (Loftstory2 compris comme signifiant : " Les Omelettes Françaises Très Sèches Toutes Observées Récemment en Yougoslavie (édition 2) "), les seuls " usages " susceptibles d’être notés relèvent d’une utilisation de mauvaise foi (cf. ci-après).
On peut citer ici la décision Europay International S.A. v. Eurocard.com, Inc., EuroCard.org / Chad Folkening, Décision OMPI No. D2000-0173: " Respondents are not using, have not used, are not demonstrating, and have not demonstrated an intent to use the Domain Names in connection with a bona fide offering of goods or services ".
La deuxième condition visée aux principes directeurs est manifestement remplie.
6.3. Sur l’enregistrement et l’utilisation du nom de mauvaise foi
L’auteur de l’enregistrement a procédé à celui-ci alors qu’il n’avait aucun droit sur la dénomination (cf. ci-dessus) mais, bien plus, indubitablement en toute connaissance de cause du fait que cette dénomination appartenait à un tiers, si l’on considère le retentissement médiatique énorme qui fut, comme la Commission l’a relevé, celui de l’émission Loft Story, précisément diffusée lorsque l’enregistrement fut réalisé.
Ne correspondant à aucune identification qui aurait pu être celle du demandeur, ni à aucun projet d’offres de biens ou de services susceptible d’être sérieusement mené bona fide, le choix fait du nom de domaine <loftstory2.com> ne peut être analysé que comme relevant au mieux d’une volonté de parasitisme, au pire d’une volonté de nuire au titulaire des marques reproduites comme en témoigne, par exemple, le fait que la lettre de réclamation adressée par le titulaire des marques fut mise en ligne par l’auteur de l’enregistrement sous l’appellation de " lettre de menace ".
De même que la prise indue d’un nom de domaine dans le but de gêner un concurrent et de l’empêcher de mener à bien les opérations qu’il aurait pu légitimement mener caractérise à suffisance la mauvaise foi de l’auteur de l’enregistrement (cf., par exemple, Groupe Danone v. Business & Decision Décision OMPI No. D2000-1801), de même faut-il faire la même analyse quand il s’agit d’un tiers, même non concurrent mais semblablement agressé.
Il faut ajouter que l’auteur de l’enregistrement a fait en sorte de ne pas être réellement identifiable puisque ne peut être repéré qu’un prénom, Nicolas, et que l’adresse fournie est objectivement incohérente, renvoi étant fait à Heidelberg... en France — suivant les coordonnées telles que fournies par Gandi :
owner-address: Nicolas
owner-address: dasd lkjf sldkfj sdldskjflsdkfj
owner-address: da dfqs dsf sdfmlkjs dflksdjf lsdkj
owner-address: da
owner-address: 2367
owner-address: Heidelberg
owner-address: France.
C’est là une pratique qui ne saurait caractériser la bonne foi !
L’enregistrement doit être indubitablement tenu comme ayant été fait de mauvaise foi.
L’utilisation s’est avérée participer encore de la même mauvaise foi. Le nom de domaine enregistré n’a jamais été utilisé dans sa fonction naturelle.
Dans cette fonction première, le nom enregistré se borne, en effet, à conduire d’abord à un site vide, présenté comme en construction, mais reproduisant sans autorisation la marque figurative Loft Story appartenant au requérant. Par la suite, il débouchera sur un site fantaisiste, comme il a été dit plus haut.
Cela mis à part, le nom a été prétexte à des pratiques de dénigrement, comme la mise en ligne, précédemment évoquée, de la lettre de réclamation présentée comme lettre de menace.
Enfin, l’auteur de l’enregistrement a proposé à la vente au public (y compris par le canal de ventes aux enchères) le nom de domaine et a continué très délibérément à le faire après avoir reçu réclamation d’Endemol. Plus directement, à réception de cette réclamation, il a sollicité d’Endemol un " arrangement amiable ", déclarant attendre de cette société " une proposition de prix ". Une telle demande, pour un nom insusceptible d’être légitimement utilisé par un autre que le requérant, démontre bien la mauvaise foi de l’auteur de l’enregistrement. A cet égard, la différence entre le coût de l’enregistrement auprès de Gandi (12 euros) et certains " prix " affichés en ligne (2 000 euros ou 40 000 FF soit 6 860 euros) n’est qu’une donnée supplémentaire à relever.
Il y a là une convergence de comportements caractérisant clairement un usage de mauvaise foi du nom de domaine enregistré, comportements au demeurant souvent retenus par les Commissions administratives.
La troisième condition visée aux principes directeurs est manifestement remplie.
7. Décision
Pour les motifs ci-dessus exposés, la Commission administrative, conformément au paragraphe 4.i) des principes directeurs prévoyant une faculté de transfert des noms litigieux et à l’article 15 des règles, juge que les conditions posées à l’article 4.a) des principes directeurs sont remplies et en conséquence ordonne le transfert du nom de domaine <loftstory2.com> à la Société Endemol Développement.
Michel Vivant
Expert unique
Date : 20 mai 2002